Travail de l’argile

Conseils pratiques à l’attention des élèves 2013-2014 – sculpture terre cuite

LA TERRE  est issue de la décomposition des roches par l’eau de ruissellement. On la trouve dans des carrières souterraines. C’est un hydrosilicate d’alumine de formation météorologique, donc un minéral. Mélangée à l’eau, la terre devient plastique, douce au toucher, plus ou moins ferme selon la quantité d’eau qu’elle renferme. Elle se travaille avec les mains ou de petits outils que l’on peut fabriquer soi-même ou acheter.

LE MODELAGE se pratique depuis la nuit des temps. En sculpture, c’est la pratique la plus aisée car l’argile génère peu de contraintes matérielles et techniques. Elle permet une grande spontanéité et les « repentirs », c’est-à-dire qu’à tout moment, l’artiste peut enlever ou remettre de la matière.

Il n’y a pas de recette pour sculpter. Pour créer il faut une idée dans l’esprit de l’artiste. Cette idée réagit aux pulsions d’un imaginaire personnel qui devra se concilier avec les exigences de la réalisation plastique. C’est là que commence le travail préparatoire important.Certains sont tentés de travailler au hasard, sans but précis. Ils risquent d’être vite désorientés, car il est nécessaire d’accorder de la réflexion avant d’agir dans le travail.

Avant tout, le modeleur est un ouvrier devant une matière informe qui doit s’adapter aux contraintes du matériau brut et aux règles d’une discipline exigeante afin de trouver l’entente qui lui permette d’aboutir à un résultat.

Le dessin est un bon préambule à la sculpture.

Vous remarquerez l’intérêt que les sculpteurs ont toujours accordé au dessin, ce n’est pas un hasard s’ils sont en général de remarquables dessinateurs. Nombre d’entre eux nous ont laissé de superbes dessin préparatoires aux œuvres sculptées. Parmi les plus connus Michel Ange, Carpeaux, Rodin, Bourdelle, Giacometti, Moore, Picasso, etc…

Le dessin permet de fixer l’idée de base du futur travail en trois dimensions. C’est une bonne mise en route. Pour modeler d’après modèle vivant, il est nécessaire d’avoir une bonne maîtrise du dessin, notamment au niveau de la construction élémentaire et l’appréciation globale du modèle vivant (proportions, axes, lignes directrices, aplombs… ). C’est pourquoi il est utile de pratiquer le dessin avant le modelage afin d’acquérir un « entraînement » visuel et de l’entretenir tout au long de la pratique du modelage. Dessin d’après modèle vivant, d’après plâtre, dessin morphologique, étude documentaire, graphisme… tout type d’apprentissage dessin est un bon tuteur pour la sculpture. Comme toute activité, le dessin et le modelage ne sont jamais acquis définitivement et se perdent faute de pratique.

 Avant de commencer :

Il existe plusieurs types de modelage sur de nombreux matériaux (terre, plâtre, cire…), sur argile aussi : modelage pour la terre cuite nécessitant des argiles de cuisson spécifiques, modelage d’estampage (empreinte destinée au plâtre) ou modelage sur armature (modèle temporaire ou pièce moulée) nécessitant une simple argile de modelage basique inadaptée à la cuisson. Les modes d’utilisation diffèrent et influent sur le travail. La qualité des argiles change selon les utilisations.

Savoir quel objectif on recherche pour déterminer la manière de procéder, quelle direction choisir :

1 – La sculpture sera détruite à cause de sa fragilité. C’est une maquette de recherche.

2 – La sculpture sera reproduite par moulage lorsque la terre est encore humide. Il est donc possible de travailler avec armature (le moulage ne s’improvise pas, il faudra faire appel aux soins d’un mouleur). Le modelage original sera perdu et l’argile récupérée.

3 – Une cuisson est envisagée. Utiliser une terre à cuire et travailler sans armatures (sauf certaines exceptions pour praticiens avertis). L’œuvre sera plus délicate à réaliser et, selon sa taille, devra être évidée et répondre à certains critères techniques pour supporter une cuisson.

CONSEILS PRATIQUES : TRAVAIL ET MALLÉABILITÉ DE L’ARGILE
L’argile sèche à l’air. Pour la travailler il faut constamment l’humidifier afin de lui garder sa plasticité. Elle doit conserver la même consistance, ni trop dure sans quoi elle n’est plus malléable, ni trop molle car elle colle aux doigts et annule tout modelé correct.

En cours de travail la terre sèche en la manipulant aussi, gardez toujours votre terre enveloppée d’un chiffon mouillé-essoré et un plastique pour la maintenir à bonne humidité. La glaise absorbe l’humidité par capillarité et reste souple ainsi.

Évitez de pulvériser violemment la terre, cela provoque de grandes différences d’humidité qui fragilisent l’argile et en abîme le modelé.

Lorsque vous vous interrompez, placez votre pièce sous des chiffons fins humidifiés, recouverts ensuite d’un plastique afin de conserver la terre malléable jusqu’à la séance suivante.

Attention : humidifier uniformément l’œuvre par fines pulvérisations et avec des chiffons humides, sans trop arroser, pour que la glaise ne se décompose pas. Veiller à protéger les zones fragiles (extrémités fines notamment) et à ne pas laisser de poches d’air entre le tissu et le plastique ce qui accélèrerait le séchage. Entre chaque séance, envelopper à nouveau  votre modelage de tissus fins et de plastiques (type plastique poubelle ou de teinturiers par exemple) qui recouvriront toutes les surfaces sans que l’air ne pénètre et ne dessèche l’argile.

COMMENCER UN MODELAGE

Après avoir défini votre sujet à modeler et le temps dont vous disposez (minimum 3 heures pour une esquisse modelée, plusieurs séances d’au moins 3 heures sur plusieurs jours sont nécessaires pour un modelage plus abouti), vous envisagerez mentalement sa réalisation plastique puis, choisirez la technique d’élaboration et la destination finale de l’œuvre (détruite ou conservée, moulée, etc…).

Inévitablement, se pose le problème des armatures, lié à la conservation de l’œuvre future. Selon le sujet, le type de modelage et de conservation choisi, vous devrez réaliser une armature pour supporter le poids de l’argile. Cela ne s’improvise pas et requiert une attention particulière. Cette réflexion et l’anticipation du travail sont nécessaires pour le bon déroulement des étapes successives et évitent certains désagréments.

1 – Prenez une planche de contreplaqué (plan de travail) d’une épaisseur suffisante pour y enfoncer des clous. Il est important d’avoir un plan de travail plus large que le modelage, dont les proportions soient équilibrées par rapport à l’œuvre, pour la stabilité et, de façon à pouvoir se réserver la possibilité d’élargir une partie, si nécessaire.

Travaillez votre modelage à l’horizontale afin d’avoir un bon aplomb, excepté les bas reliefs qui peuvent être travaillés sur un plan incliné.

Utilisez une sellette, travaillez debout et à hauteur des yeux, de façon à ne pas avoir une vision écrasée ou déformée du sujet.

2 – Établir une base en terre solidaire de votre œuvre pour la maintenir, la protéger et la situer. Cette base pourra servir de socle ou être supprimée par la suite.

3 – Pour maintenir la terre, lourde qui s’affaisse inévitablement, on fabrique un système d’armature métallique ou en bois ; mais en terre cuite, on réalise une œuvre sur un simple axe central aisé à retirer ou bien on modèle sans armature une forme simple et stable, ramassée sur elle-même, qu’il sera éventuellement possible de renforcer avec une tige en cours de travail si elle s’affaisse. En sculpture destinée à la terre cuite il est impossible de travailler sur une armature complexe car on ne peut la conserver, il faut la retirer de l’œuvre qui ne peut cuire sans cela (elle éclate). On peut cependant ruser en fabriquant des « armatures de soutient » avec des systèmes de calage et des baguettes de bois que l’on retire ensuite. Si vous travaillez sans armature ni cales, augmentez un peu les proportions dans la hauteur,  car la terre humide se tasse toujours un peu en cours de travail.

4 –  Pour un premier modelage, réalisez une forme simple sans rechercher le détail. Dans un premier temps, reconstituez la masse compacte du sujet, en veillant aux proportions, avant tout. Pour cela, tournez souvent la selle du modèle. Pour un modèle vivant, placez des repères sur les points osseux notamment (coudes, menton, genoux, hanches, etc.). Ces repères vous serviront de référence pour mettre en place les grandes lignes directrices du volume.

Proscrivez tout détail et travaillez par plans simplifiés en tournant sans cesse votre pièce. Les détails viendront plus tard si nécessaire.

 Si vous modelez d’après modèle, observez le attentivement, approchez-vous au besoin, tournez autour pour comprendre comment les formes « tournent », c’est-à-dire passent d’un plan à l’autre. La terre que vous modelez sera faite de plans, de lignes, de courbes et d’angles saillants qui s’opposent, se croisent et se mêlent. Sans cesse, vous devez revenir sur votre ouvrage en n’hésitant pas à le modifier.

LA BASE D’UNE SCULPTURE  qu’elle soit d’ordre pratique ou esthétique, la base d’une œuvre rempli une fonction importante souvent négligée lors de l’apprentissage. Observez la manière dont chaque artiste a résolu le problème de la base dans chaque œuvre. Il ne s’agit pas d’un simple support horizontal. Souvent on l’utilise pour faciliter la stabilité et les manipulations de l’œuvre, mais aussi pour élever et améliorer l’effet plastique de l’œuvre, donner plus d’envergure à une forme, plus de stabilité à un nu en équilibre sur un pied, plus de hauteur à un buste, etc.

Au XXème  siècle, le socle s’est beaucoup modifié et parfois à disparu pour donner certains effets. Brancusi l’a intégré dans son œuvre même, Giacometti l’a utilisé comme élément de cadrage, pour situer certaines figures, d’autres l’on supprimé pour donner un sentiment de proximité etc..

Pour un modelage d’apprentissage, réalisez une base utile pour la stabilité de l’œuvre qui peut, au besoin, être supprimée.

L’ÉCLAIRAGE  joue un rôle essentiel dans la sculpture car il fait varier les effets d’ombre et de lumière, mettant en valeur les volumes, en en privilégiant certains ou en les écrasant, au contraire, selon son emplacement.

PRENEZ DU RECUL PAR  RAPPORT A VOTRE SCULPTURE  Travailler debout permet de mieux appréhender la spatialité. Tournez autour, multipliez les points de vue. Faites pivoter la planche sur laquelle vous travaillez car la lumière change et modifie les ombres et trompent parfois.

ENTRETIEN DE L’ARGILE et de votre œuvre

 

À la fin du cours: Afin que l’argile conserve une bonne malléabilité à la séance suivante, il faut lui garder un bon degré d’humidité et l’emballer correctement ; selon le groupe d’élève et la taille ou la complexité de l’œuvre, comptez environ une demi-heure .

1 – Pulvérisez doucement votre modelage pour le ré-humidifier, attendre un peu que la glaise absorbe et recommencer l’opération au besoin. l’envelopper délicatement d’un fin plastique sans laisser de poches d’air. Cette opération peut prendre du temps si la forme est délicate ou complexe, elle est importante pour retrouver votre sculpture en bon état la séance suivante.

2 – Argile d’apport après l’avoir débarrassé de ses impuretés (tissus, plastiques, débris de bois, clous, armatures etc), tasser votre argile d’apport sur l’établi en la battant fortement, la remettre dans son sac de façon à ce qu’elle n’enferme pas d’air. Nettoyez l’établi avec la spatule située dans le tiroir.

3 –  Coucher au besoin une serpillière ou un coton humide sur le dessus de la terre, refermer le sac lié serré au collet sans poche d’air de façon maintenir une bonne condensation. De cette manière, l’argile peu desséchée par le modelage absorbera lentement l’humidité et redeviendra malléable pour la prochaine utilisation. Accrocher au sac votre nom sur une étiquette lisible.


COMMENT RÉCUPÉRER UNE TERRE SÉCHE : CONCASSAGE

Une sculpture sèche n’est pas récupérable par contre lorsque votre argile d’apport a séché, vous pouvez lui redonner sa malléabilité en la ré-humidifiant de la façon suivante :

1 – Attendre que l’argile soit bien sèche, puis la concasser au marteau afin de la réduire en petits morceaux

2 – Mettre les morceaux concassés dans un bac rempli d’eau pendant 24 heures.

3 – Une fois la terre ramollie, décanter l’eau. Cette opération est lente. Malaxez la terre au fur et à mesure du séchage de cette terre boueuse.

4 – Une fois que l’argile a retrouvé sa bonne consistance, battez-la sur l’établi et étendez là en galette d’environ 5cm d’épaisseur sur les plaques de plâtre prévues à cet effet.

5 – Le lendemain, le plâtre aura absorbé l’humidité de l’argile. Retirer la galette de terre du plâtre, la battre à nouveau puis la ranger dans un plastique étanche, elle est à nouveau malléable.

Moralité : Une terre bien battue et entretenue vaut mieux qu’un champ de caillasse !

SÉCHAGE – CONSERVATION D’UNE ŒUVRE EN TERRE CUITE

 Vous pouvez conserver une œuvre en terre crue (non cuite) séchée, de petite taille, de préférence de forme massive et sans armature. La terre qui sèche sur armature se rétracte au niveau des fers, fendille et se casse inévitablement.

Le modelage cru, une fois sec reste fragile et friable mais peut être conservé sous certaines conditions. un séchage accéléré fend la pièce. L’idéal est un séchage lent, sans écarts de température, une cave par exemple. Il est possible de passer un vernis protecteur (gomme laque par exemple) tout en sachant que cette terre restera fragile et craindra l’humidité.

 

UN PEU DE PHILOSOPHIE…

 

La sculpture est lente,  souvent laborieuse, expérimentale. Ne cherchez pas à conserver vos œuvres systématiquement, prenez du recul sur votre travail et ne vous encombrez pas d’esquisses maladroites ou d’études mineures sauf si elles ouvrent des voies de recherche.  Un petit modelage de trois heures correspond en dessin à un croquis rapide, ce n’est pas encore une sculpture. Les esquisses de grands artistes qui paraissent faciles à réaliser, si évidentes, lisibles sur toutes les faces, sont le fruit d’années de travail, que l’on soit « doué » ou non. Les grands artistes ont eux aussi longuement tâtonné et ne réussissent pas facilement, c’est une lutte avec la matière qu’il faut maîtriser. Avant de parvenir à ces résultats, de nombreuses esquisses modelées ont fini recyclées au bac à terre, de même que les croquis de dessin finissent souvent à la corbeille.

Travaillez généreusement, sans compter votre peine. N’hésitez pas à recommencer. Les erreurs sont porteuses et font évoluer. On remet parfois au bac des œuvres qui représentent des semaines entières de travail. C’est parfois décourageant mais ce n’est pas du temps perdu… c’est le métier qui rentre ! La sculpture est un art difficile car long et technique, c’est un art de patience qui réserve de grandes satisfactions à la mesure de ses difficultés et de ses trois dimensions aux capacités infinies.

N’hésitez pas à me faire part de vos soucis créatifs, légitimes et inévitables. Les erreurs font avancer et grandissent. Je serais là pour vous guider et vous accompagner dans ce chemin passionnant et universel.

“Il n’y a que ceux qui ne se plantent jamais qui ne risquent pas de pousser”

                                               Évelyne LE BERRE

            Professeur dessin/sculpture

Ateliers Beaux Arts Ville de Paris

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